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Le pasteur de Carlos croit au travail avec les délinquants

Markus Giger est le pasteur de Carlos. Il fustige les médias après l’affaire qui a défrayé la chronique et croit plus que jamais qu’il est fructueux de travailler avec les jeunes délinquants. Interview.

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Le pasteur de Carlos en est convaincu: il est avantageux de travailler avec des délinquants. Le Tages-Anzeiger l’a interviewé.

En tant que pasteur, comment avez-vous vécu les réactions qui ont suivi l’annonce des soins reçus par Carlos et des coûts qu’ils engendraient?

Markus Giger – Je me suis senti totalement impuissant face au battage médiatique. Si je n’avais disposé que des informations auxquelles ont eu droit les lecteurs, j’aurais moi aussi fait part de mon incompréhension. L’atmosphère était tellement chauffée à blanc que l’on n’a quasiment pas parlé du fond de l’histoire et des faits. Les articles sur son arrestation, par exemple, ont tout simplement été inventés. Carlos n’a pas été attaqué par des policiers lourdement armés, et l’endroit de son arrestation n’était pas correct. Ce sont les médias qui ont inventé le personnage de Carlos, il n’existe pas dans la réalité.

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné selon vous?

J’aurais souhaité qu’il y ait un peu plus de correction. Que veut-on finalement? Utiliser la colère populaire ou remettre en question les avantages et les résultats de ce type de placements? A mon avis, les efforts de la Suisse envers les jeunes délinquants sont justifiés. Mes longues années d’expériences avec des jeunes hommes en prison m’en ont convaincu: il vaut la peine d’investir dans ces personnes.

Vous dites que le personnage de Carlos est une fiction. Qui est-il vraiment?

Le secret de mon ministère m’interdit de donner des informations sur mes clients.

Voilà 20 ans que vous êtes au service de jeunes délinquants comme Carlos. Qu’ont-ils en commun?

Cela peut sembler un cliché, mais ils ont tous vécu quelque chose de douloureux. Une biographie classique ressemblerait un peu à ce qui suit: enfants, ils sont livrés à eux-mêmes. Ils sont souvent exposés à la violence. Il n’y a personne pour les consoler, et ils ne peuvent trouver refuge auprès de personne quand ils sont battus. Ils sont particulièrement isolés. Ils n’apprennent aucune stratégie pour tirer parti de l’expérience. Au de lieu de ça, ils essaient de s’affirmer. En cours de route, ils font la connaissance d’autres jeunes hommes au parcours difficile. Ils devinent qu’ils ont un vécu similaire, mais n’en parlent quasiment pas. Des liens se construisent, plutôt lâches, grâce auxquels ils se sentent acceptés pour la première fois.

Comment les façonne cette violence qu’ils ont connue à la maison?

Ceux qui ont subi la violence sont généralement plus prompts à l’utiliser eux-mêmes. Un jeune homme qui a vécu la violence de son père au quotidien la tient pour banale. Beaucoup témoignent du fait qu’ils ont fini par ne plus sentir les coups. Il se développe une forme de dureté, qui les conduit à pratiquer la violence sans ressentir aucune émotion. Nombre d’entre eux s’auto-médicamentent avec du haschisch, de l’alcool, de la cocaïne ou des drogues de synthèse, pour rendre leur existence supportable. Puis ils glissent dans la délinquance.

Comment vivent-ils la préventive ou les mesures d’exécution des peines?

La discipline et les strictes directives sont celles d’un milieu monacal. En soirée, les jeunes hommes sont enfermés dans leurs cellules. Lors des thérapies, ils sont confrontés à leur histoire personnelle et à leurs actes. Pas moyen d’échapper à la confrontation avec soi-même. Du coup ils en arrivent à se poser de grandes questions: pourquoi suis-je ainsi? Pourquoi ai-je fait cela? S’il y a un Dieu, comment a-t-il pu laisser cela se produire?

Comment gagnez-vous la confiance des jeunes délinquants?

Je refuse d’avoir accès au dossier, parce que je veux les rencontrer de façon impartiale. Et je suis soumis à la confidentialité. Ils le savent. Intuitivement, ils sentent qu’en tant que pasteur je peux leur apporter des réponses à leurs questions existentielles. Même un délinquant qui a commis un terrible crime est un homme qui cherche à vivre heureux, ou du moins en paix. La façade du jeune homme sans scrupule, imbu de lui-même, s’écroule durant l’échange. Beaucoup craquent lorsqu’ils voient leur vie pour ce qu’elle est. Il y a beaucoup de larmes.

Que faut-il pour qu’un jeune délinquant reprenne pied dans la normalité?

Au début du processus, il est impossible de prédire comment il va se développer. Les blessures psychologiques doivent guérir. Cela nécessite des expériences humaines positives – que ce soit en thérapie ou par l’entremise de conseils pastoraux – et la réconciliation avec le passé.

Il n’y a donc pour vous que des victimes?

Ces jeunes hommes sont à la fois des victimes et des bourreaux. Dans les mesures d’exécution des peines, ils sont obligés de se considérer comme coupables et de ne pas déléguer leurs fautes. Mon travail de pasteur est toutefois différent : avec moi, ils peuvent reconnaître leur souffrance.

Que souhaitez-vous à Carlos?

Qu’il puisse montrer, comme il le désire fortement, qu’il n’est plus celui qu’il était. Depuis des semaines, il est soumis au régime carcéral le plus sévère qui soit dans ce pays. Et cela bien qu’il ait fait pendant treize mois ce que la justice attendait de lui. Cela demande à mon sens de la maturité et une grosse dose d’autodiscipline.

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