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«Je mendie à l’endroit où passent les gens qui ont le plus de cœur».

Rom | Traian Galdarar, 62 ans, mendie place Saint-François tout en tentant de cultiver son lopin transylvanien.
Odile Meylan

La barbe blanche, la canne à la main, une douceur distante dans le regard, l’homme mendie depuis deux mois au coin du Petit-Chêne et de la place Saint-François. Il a une chapka de feutrine à la main et sous son imperméable hors d’âge, un vieux trench-coat façon Bogart, il porte des couches de vêtements chauds. Traian Galdarar, sexagénaire paysan de Transylvanie roumaine, s’habille comme un oignon parce que c’est commode. S’il ne trouve pas d’abri ce soir à la Vallée de la Jeunesse ou à la Marmotte, il dormira dehors avec toutes les couches. C’est ce qui lui est parfois arrivé depuis deux mois quand les structures d’accueil étaient pleines. Car le vieil homme fait partie de la vague des mendiants Roms qui a débarqué à Lausanne pour mendier (24heures des 18-19, 20 et 21 décembre).

A 62 ans, Traian Galdarar se passerait pourtant bien de ces voyages à Lausanne. Il a une terre à cultiver dans son pays où une épouse l’attend. Il y a éduqué quatre enfants qui lui ont donné trois petits-enfants. «Je n’arrive plus à payer pour la location du tracteur», justifie Traian Galdarar, lui même fils de paysan.Feu son père, avant la chute du communisme en 1989, travaillait dans une ferme collective.

Assis devant un thé au lait qu’il commande sans le boire, ce paysan roumain se présente pour ce qu’il est, un «pater familias» dans la panade. Quand il quittera Lausanne après les Fêtes, le sexagénaire remportera, dit-il, guère plus de 400 francs pour 60 jours passés sur le trottoir lausannois. «Avec cette somme, je peux vivre un mois avec mon épouse en Roumanie.» Sa fille aînée, 30 ans, rapportera aussi un petit pécule puisqu’elle a aussi fait le voyage de Lausanne.

Piécette après piécette, les journées du citoyen roumain connaissent des hauts (30 francs) et des bas (guère plus de 8 francs, annonce-t-il). Il travaille au moins dans un endroit stratégique, en haut du Petit-Chêne. Le passant, un rien essoufflé, a le temps de regarder le mendiant, d’avoir éventuellement une bouffée d’empathie convertie en petite monnaie. Traian Galdarar, considéré comme l’ancien par ses compatriotes eux aussi de passage, ne dira jamais qu’il a droit à la meilleure place parce qu’il est le plus âgé. «Je mendie là où passent les gens qui ont le plus de cœur». Ce sera son secret; on lui parle emplacement commercial, il répond richesse du cœur. Inutile de harceler l’interprète pour qu’elle pose une dixième fois la même question, le Rom se ferme et se tait. Toutefois, il finit quand même par livrer deux ou trois choses.

Le mendiant de Saint-François ne craint pas la concurrence au sein de sa communauté. «Quand nous sommes nombreux en ville, nous partageons l’argent entre nous», note le patriarche qui n’expliquera pas comment se passe la répartition. Impossible pour eux de rentrer les mains vides au pays. Et mendier en Suisse coûte cher en faux frais, le seul voyage aller-retour en bus coûtant 355 francs suisses.

Et d’autres frais s’ajoutent. Comme lors d’un passage l’été dernier, quand le voyageur avait dormi sur la pelouse d’un locatif près du rond-point de la Maladière. «Nous étions 25 et il faisait beau», se souvient-il. La police passant par-là a amendé tout le monde. «Nous avons chacun payé 180 francs.» La conversation s’essouffle. Le Rom se tait et la lassitude se lit sur son visage. Sait-il que sa culture, sa musique sont à la mode ici à l’Ouest de l’Europe? Sait-il que des films racontent les Roms? Cette fois l’interprète craque: trop difficile à traduire. On insiste. «Gadjo Dilo, le film de Toni Gatlif, vous connaissez?» Ce n’est plus un fossé mais un précipice qui nous sépare. D’une voix lasse, Traian Galdarar fort perplexe conclut: «Je ne comprends pas. Je ne comprends pas que vous vous intéressiez à notre culture.»

http://www.24heures.ch/vaud-regions/lausanne-region/mendie-endroit-passent-gens-coeur-2010-12-27

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