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Hausse des converties à l’islam depuis la vague d’attentats

Pendant 8 ans, elle a interrogé des musulmanes converties appartenant à des associations. Petra Bleisch, professeure à la Haute Ecole pédagogique de Fribourg, en a fait un livre qui sort aujourd’hui et s’intitule La charia en Suisse, vécue et racontée. Interview.

femme voilée islam bâle rue

Pourquoi écrire un livre sur la charia en Suisse? C’est un thème qui est très présent dans les médias. Comme j’ai aussi étudié l’histoire des religions et particulièrement l’islam, je me demandais comment les musulmanes vivaient en Suisse. J’en suis venue à m’intéresser aux converties, qui ont grandi ici et découvrent, puis s’approprient les normes islamiques.

La charia, on l’associe ici à une justice religieuse barbare avec décapitation des hommes et lapidation des femmes. Oui, chacun interprète ce mot à sa manière. Certains le prennent comme une philosophie de vie, une incitation à mener la meilleure existence possible. D’autres y voient un codex avec des prescriptions à respecter. Ce n’est pas le cas. Il n’y a aucun livre qui s’intitule Charia avec des injonctions précises. Il convient plutôt de parler de droit islamique avec des recommandations sur la prière, la nourriture, le pèlerinage à La Mecque et bien sûr aussi les normes pénales. Ces dernières ne représentent qu’une petite partie de la charia mais focalisent l’attention médiatique.

Les converties à l’islam en Suisse ont quintuplé de 2000 à 2010 et seraient 4000 en Suisse. Pourquoi ces conversions? Je n’ai pas de réponse toute faite. Je remarque que ces femmes exercent souvent un métier social (enseignante, infirmière, etc.) et s’intéressent à d’autres cultures. Souvent aussi, elles tombent amoureuses d’un musulman.

Elles se marient et se convertissent. Non. Leur conversion n’est pas liée au mariage mais plutôt à l’intérêt qui se développe pour une nouvelle culture dans un nouvel entourage. En droit islamique, et là les savants sont pratiquement tous d’accord, un musulman peut très bien épouser une chrétienne ou une juive. Quand les enfants arrivent, là les divergences commencent.

Avec la vague d’attentats de l’Etat islamique, y a-t-il un recul des conversions? Non. Etonnamment, il y a plutôt une hausse des conversions. Mon hypothèse: un réflexe de solidarité de ces femmes avec une communauté musulmane sous pression. Elles veulent montrer que l’islam qu’elles connaissent a un autre visage qui n’est pas celui de l’Etat islamique. Viennent ensuite d’autres facteurs comme l’augmentation du nombre des musulmans en Suisse et donc d’une probabilité à la hausse de rencontres amoureuses.

Vous distinguez deux groupes de converties dans votre livre. Il y a un premier groupe de femmes qui perçoit la conversion comme un grand changement et fait tout pour être «une bonne musulmane». Elles cherchent à respecter les normes islamiques et s’inspirent de converties modèles dans la communauté. Elles sont avant tout pragmatiques mais se révèlent parfois plus rigoristes que leur mari musulman.

Et l’autre groupe? Ce sont des femmes qui racontent la conversion comme un long cheminement. Elles ont voyagé dans plusieurs pays musulmans, ont lu des livres et font un jour le pas mais sans rupture. Pour elles, le respect des normes sociales islamiques est relatif selon les pays. Et elles attachent plus d’importance à leur ressenti individuel.

Ces converties ne serrent plus jamais la main d’un homme? Serrer la main de l’autre sexe n’est pas répandu chez les musulmans. Une mouvance puritaniste y voit même une tentation au péché. Mais la polémique qu’il y a eue en Suisse ces dernières semaines avec les élèves et leur enseignante (ndlr: deux élèves musulmans d’une école bâloise avaient obtenu une dispense controversée et finalement annulée) va sans doute faire débat dans la communauté.

Et le port du voile, c’est un enjeu majeur pour les converties? Oui. Car le foulard vous définit comme musulman. La majorité des femmes sont pour le porter. Mais certaines y renoncent pour des raisons économiques. Leur mari étant immigré, elles ont souvent un job plus lucratif que lui. Elles ne veulent pas mettre en danger le revenu de la famille si le port du foulard s’avère impossible dans leur entreprise. D’autres au contraire, c’était le cas d’une infirmière, ont préféré changer d’emploi et gagner moins pour porter le voile.

Il y a aussi des converties qui ne raisonnent pas en ces termes. Oui, celles du deuxième groupe dont j’ai parlé. Pour elles, le voile n’est pas un enjeu majeur. Certaines le porteront suite à une expérience quasi mystique. Une femme m’a raconté qu’en revenant chez elle de la mosquée avec son voile, elle ne l’a pas enlevé. Et pendant son trajet, elle a senti une force qui la protégeait.

Cette volonté de porter le voile n’est-elle pas perçue chez ces femmes comme un acte d’autoexclusion du monde du travail en Suisse? Non. Parce que la liberté de croyance est reconnue. Mais il est vrai que ces mêmes femmes se posent beaucoup de questions pour leurs filles. Elles voient bien les difficultés à décrocher un apprentissage ou un premier travail quand on porte le foulard.

Et alors, elles s’adaptent à la norme suisse ou elles veulent changer cette norme? Il y a les deux attitudes dans la communauté. Mais il n’y a pas une volonté politique très marquée. On retrouve surtout chez ces femmes le souci de mener une vie tranquille de musulmane en Suisse et de s’occuper de leur famille.

Quel islam attire le plus les converties? Il y a plusieurs influences: égyptienne, wahhabite et turque. L’islam turc est considéré comme le plus approprié pour la Suisse car il reconnaît et intègre historiquement le droit coutumier d’un pays.

Est-ce qu’une convertie musulmane se considère inférieure à son mari? Non. Pas du tout. Et certaines m’ont raconté qu’elles s’étaient énervées à la mosquée en entendant lors du ramadan le prêche d’un imam invité. Ce dernier avait affirmé qu’une bonne musulmane devait «prier, jeûner et obéir à son mari». Pour elles, l’égalité homme-femme est importante même si elles considèrent que les rôles sont différents.

Vous avez été mariée à un musulman. Vous vous êtes convertie? Non. Pour moi la question ne s’est jamais posée.

En chiffres

338 000 C’est le nombre de personnes musulmanes de plus de 15 ans qui résident en Suisse. Les catholiques sont 2,5 millions et les protestants 1,7 million.

3e position La religion musulmane arrive donc en 3e position après les catholiques et les protestants. Elle est suivie par les orthodoxes (148 000) et les autres Eglises remontant à la Réforme (84 000).
A noter que les personnes sans appartenance religieuse sont 1,5 million.

Le top 3 des villes C’est la ville de Zurich qui compte le plus de musulmans (19 800). Elle est suivie par Bâle (12 700) et par Genève et Lausanne à égalité (9300).

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